Le Patio

Strasbourg (67000)

2017 - 2022

Sur le campus de l’Esplanade de Strasbourg, l’Université des Sciences Humaines et Sociales, usuellement nommée le Patio, ne méritait pas moins d’attention que les célèbres Faculté de Droit et Tour de Chimie qui l’entourent. Cet ensemble des années 1960, lieu emblématique du dialogue et du bouillonnement étudiant, conçu par l’architecte Pierre Vivien, concentre toutes les innovations constructives de son époque et n’avait besoin que d’être ravivé. Grâce à une lecture attentive de ce patrimoine remarquable, nous avons pu proposer une rénovation énergétique respectueuse et une recomposition efficaces de l’ensemble afin de lui redonner ses lettres de noblesse. Étudiants et enseignants profitent de nouveau pleinement des qualités de leur bâtiment, désormais tourné vers l’avenir.

Données du projet
Adresse

Campus de l’Esplanade
22, rue Descartes
67 000 STRASBOURG

Maîtrise d'ouvrage

UNISTRA (Université de Strasbourg)

Images

Photos historiques : Archives de l’Université de Strasbourg
Photos projet réalisé : 11h45 – Florent Michel

Programme

Restructuration et rénovation thermique de l’ensemble des locaux de la faculté de sciences humaines et sociales, extension neuve pour des locaux d’enseignement, une salle de répétition d’arts vivants et la cafétéria du CROUS.

Equipe

Architecture, Economie : Vurpas Architectes
Structure, Fluides : AIA Ingénierie
QEB : AIA Environnement
Acoustique : Génie Acoustique
Paysage : Indigène

"L'Opération Esplanade" à Strasbourg : naissance d'un campus dans le contexte des Trente Glorieuses

Le Patio s’insère dans une composition unique offrant un cadre universitaire d’exception. Pour comprendre l’histoire et l’architecture du campus de l’Esplanade, il est nécessaire de revenir au contexte de sa construction.
Après la seconde guerre mondiale, la France connait un renouveau et plonge, selon les termes de l’économiste Jean Fourastié, dans la période intense des « Trente Glorieuses ». Ces années prospères se traduisent par une croissance économique et démographique exponentielle, accompagnée d’une amélioration du niveau de vie des Français. L’accroissement fulgurant de la natalité, combiné à une démocratisation de l’accès à l’enseignement secondaire et au baccalauréat, engendre donc, à la fin des années 1950, une augmentation considérable des effectifs étudiants souhaitant poursuivre un cursus dans le supérieur, et du personnel enseignant pour répondre à cette nouvelle demande.
La ville et le milieu universitaire de Strasbourg n’échappent pas à ce phénomène : le nombre d’étudiants triple en 10 ans, passant de 5000 en 1954 à 16000 en 1965. Le Palais Universitaire, jusqu’alors réservé à quelques centaines de privilégiés, n’est plus en mesure de suivre la cadence. Son mode de fonctionnement autarcique, autant que son architecture d’apparat, sont devenus obsolètes, trop élitistes, incompatibles avec les nouvelles méthodes d’enseignement et les effectifs croissants d’étudiants.
A l’échelle nationale, les grandes villes se confrontent à ces problématiques et des plans d’expansion multiplient de nouveaux regroupements universitaires en zone péri-urbaine pour y remédier. Strasbourg fit néanmoins figure d’exception, puisque l’université a pu bénéficier d’une opportunité inédite : la libération d’un terrain militaire attenant au centre historique, face aux équipements existants.
En cœur de ville, les édifices monumentaux qui composent le nouveau campus suivent le cardo-decumanus, les axes fondateurs de la ville, offrant un lien symbolique entre ancienne Cité et nouvelle urbanité. Cette implantation exceptionnelle, appuyée par une composition architecturale remarquable, permit de faire perdurer le rayonnement de l’université strasbourgeoise, tout en la propulsant dans sa modernité.
Parmi les édifices notables qui composent le site, la Faculté de Droit, monument historique et labellisée patrimoine XXème, ou encore la célèbre Tour de Chimie, sont souvent mis à l’honneur. La reconnaissance de l’Université des Sciences Humaines, usuellement nommée le Patio, comme ouvrage remarquable et structurant de l’Esplanade se faisait jusqu’à présent plus discrète. Pourtant, son architecte, Pierre Vivien, a proposé un ensemble reprenant toutes les innovations constructives de son époque, dans une écriture puissante et démonstrative qui confère une identité forte au Patio. Face à ce patrimoine moderne, trop souvent délaissé, nous avons donc entrepris une rénovation énergétique et une restructuration efficaces, au service d’un bâtiment qui ne demandait qu’à continuer sa vie.

Façades rideaux et menuiseries, éléments emblématiques de l'architecture moderne

Les nouvelles exigences de confort et de performance thermiques sont indissociables des enjeux de préservation patrimoniale. Afin de comprendre dans sa globalité l’œuvre architecturale telle qu’elle est venue jusqu’à nous aujourd’hui, nous avons réalisé un diagnostic exhaustif du projet construit, point de départ et véritable assise de toute intervention de sauvegarde. Le temps de l’exploration, de la connaissance, du re-dessin, était un temps fondamental pour décliner différents scénarios de réhabilitation, adaptés aux pathologies de l’existant, conjugués aux enjeux patrimoniaux et thermiques. Le cœur de notre intervention s’est d’abord concentré sur la restauration minutieuse de toutes les menuiseries extérieures selon 3 parti-pris méthodologiques : la conservation, la reproduction analogique et l’interprétation. C’est un point essentiel d’une rénovation patrimoniale réussie en accord avec les enjeux environnementaux d’aujourd’hui et la clé de la sauvegarde des architectures remarquables du XXème siècle.

La conservation de la façade rideau d'origine, sa réparation et son renfort par l'intérieur

La façade rideau de l’Aula constitue un des marqueurs identitaires du Patio, elle incarne un symbole d’innovation et de modernité à l’époque de sa construction. Ces grandes surfaces vitrées, portées par des profils en aluminium plié, ont été conçues en 1965 par l’entreprise Studal, dans les anciens ateliers de Jean Prouvé à Maxéville.

Nous avons pu assurer la conservation des épines d’origine grâce à leur restauration et un nettoyage minutieux, doublée d’une structure intérieure en T créée pour venir soutenir la surcharge des nouveaux vitrages, tout en permettant la maintenance facilitée des ces derniers par l’extérieur.

La reproduction analogique des menuiseries qui soit une ressemblance stricte fonctionnelle et formelle

Arrivés à bout de souffle, les menuiseries des amphithéâtres et salles de classes du bâtiment qui prolonge la façade rideau de l’AULA sont soigneusement remplacés, respectant le dessin fonctionnel et formel des ensembles vitrés existants. Pour reprendre la finesse, l’esthétique et le dimensionnement des ouvrages d’origine, les profils sont refaits à l’identique en aluminium poli-miroir intégrant des ouvrants cachés.

L'interprétation des menuiseries existantes pour une façade neuve qui développe de nouveaux usages

Après la seconde guerre mondiale, l’industrialisation de certains procédés de construction est encouragée par les architectes et ingénieurs modernes. Dans sa conception des façades du Patio, Pierre Vivien a mis en pratique le système rapide et économique de préfabrication in-situ en proposant notamment une trame systématisée de menuiseries, également produites par l’entreprise STUDAL. La répétition des 783 menuiseries, structurés par une façade béton à meneaux, offre une composition d’ensemble très élégante. De plus, toutes les 4 fenêtres, la trame structurelle s’épaissit pour protéger du soleil tout en créant des variations d’ombres graphiques. Pour ces ensembles menuisés, nous avons fait le choix de proposer une réinterprétation par de nouvelles menuiseries qui reprennent l’esthétique des originaux de manière plus épurée. Sans dénaturer les intentions d’origine, ces châssis renouvelés répondent aux exigences et usages d’aujourd’hui. Afin de déterminer la solution technique la plus pertinente en termes de mise en œuvre, d’esthétique et de maintenance, plusieurs prototypes ont été réalisés in situ dès les phases d’études.

Une extension pour souligner l'existant

Pour réaffirmer les espaces et éléments identitaires de l’existant, nous avons fait le choix d’une insertion neuve, qui vient compléter la composition générale. Ici nous ne cherchons pas à ajouter de nouveaux bâtiments qui dénaturerait l’harmonie de l’ensemble, mais nous proposons une imbrication silencieuse de l’ancien, du reconstruit et du nouveau. Des volumes simples, épurés et lisibles reprennent les alignements existants. Le béton est réemployé et mis en œuvre selon un procédé de double murs isolés, coulés en place pour assurer la meilleure enveloppe thermique possible.

Les nouvelles salles de classe (1) sont disposées au rez-de-chaussée, le long du bâtiment prolongeant la grande galerie des amphithéâtres. Elles proposent de grandes baies vitrées sur le jardin, laissant deviner l’activité intérieure. Elles sont scindées par un bel escalier extérieur qui lie le jardin arboré et la nouvelle terrasse haute du patio, également végétalisée.

Sur l’emprise de l’ancienne construction démolie, le volume spacieux de la nouvelle cafétéria (2) entre en résonance avec la générosité de l’AULA, qui lui fait face. Elle est également prolongée par un espace détente pouvant s’ouvrir sur la belle terrasse et la canopée du patio. Sous elle, un volume identique partiellement enterré accueille une grande salle de répétition, dédiée aux pratiques artistiques, pour répondre aux besoins éventuels d’obscurité. Posés l’un sur l’autre, ces deux espaces redynamisant l’activité étudiante terminent la composition du patio, alors réactivé.

Le patio, coeur de la composition architecturale

La végétation délaissée s’étendait à profusion et empêchait la bonne lisibilité de cet espace pourtant central, cœur de la composition architecturale qui a donné son nom au bâtiment. Oublié par les occupants, nous lui rendons pleinement ses usages. La confusion entre les différents espaces du jardin intérieur s’efface au profit d’une partition claire et harmonieuse du jardin sur 2 niveaux : une partie basse, plutôt ombragée, forme un écrin calme et serein, traversant de part en part l’ensemble bâti tandis qu’en partie haute, une grande terrasse ensoleillée s’insère dans le prolongement de l’étage des bâtiments où l’animation est la plus dense, reliant ainsi de plain-pied l’AULA, la grande galerie des amphithéâtres et la nouvelle cafétéria.

Des jeux de transparence et de reflet, rythmés par les essences végétales qui s’épanouissent, animent le jardin. Sa centralité rétablie, il offre une vue d’ensemble sur les différentes entités (nouvelles salles de classe, salle de répétition, cafétéria…) entre lesquelles s’établissent de nouveaux cheminements libres, au gré des occupants.
Un dialogue équilibré s’établit alors entre volume bâti et volume végétal, offrant un patio convivial, où il est agréable de déambuler. Il redevient un espace à vivre, point de rencontre central pour les étudiants comme pour le personnel enseignant qui se réapproprient pleinement les lieux.